Relation Patient/Praticien: les nouveaux usages de la connexion multimédia permanente

La mise en ligne du Dossier Médical des Patients (DMP) adopté par la loi du 13 Août 2004, est-elle, selon vous, un réel progrès, ou génère-t-elle des freins (psychologique, technologique, éthique)?  

La diffusion du DMP sur Internet constitue un indéniable progrès à la fois pour le patient et pour le médecin. En permettant une traçabilité de l’histoire médicale des patients et grâce à une information complète et réactive sur leurs antécédents, le médecin peut établir plus facilement un diagnostic, prescrire le traitement le plus efficace, assurer une meilleure organisation des soins et une surveillance à distance permanente du malade. Les freins actuels portent essentiellement sur le manque de disponibilité des praticiens qui parviennent difficilement à consacrer du temps à leur formation sur internet et à la gestion informatisée de leurs dossiers patients. Cette réticence est confortée par la disparité des logiciels mis sur le marché et par un système de partage des dossiers non encore agréé par le législateur. L’éthique, en revanche, est d’autant plus respectée que seul le patient accède en toute confidentialité et de façon sécurisée à son dossier via un mot de passe personnalisé. Il serait cependant souhaitable que le médecin puisse en faire autant de son côté sans avoir à demander au préalable l’autorisation à son patient pour une meilleure interaction et continuité des soins dans une optique de qualité ! La modification récente du code de santé publique (art 25 de la loi du 30 janvier 2007) a assoupli le dispositif mais cet accès au DMP reste encore limité à des cas particuliers.

Le dossier médical personnel contribuera-t-il à généraliser l’archivage numérique des archives de santé ?

A moyen terme, sans aucun doute! De nombreux professionnels utilisent d’ores et déjà ce système. C’est le cas notamment des spécialistes en imagerie médicale. Ces derniers remettent désormais aux patients un CD regroupant les radiographies réalisées. Cette initiative, en éliminant les supports papier au profit d’une dématérialisation progressive, allège considérablement le travail administratif, l’attente des patients et permet un suivi performant. L’hôpital d’instruction des Armées Bégin (Saint-Mandé, Val-de-Marne), par exemple, a informatisé l’ensemble de ses services depuis février 2007. Du diagnostic à la prescription, la traçabilité est totale. Des ordinateurs portables équipés en wifi permettent aux médecins de consulter sur place les différents épisodes et séjours du patient, les courriers, le dernier compte-rendu de leur médecin traitant et les ordonnances de sorties qui lui on été remis. La base médicamenteuse thérapeutique est disponible et permet une prescription au « lit du malade » qui aboutit immédiatement à la pharmacie de l’hôpital.

Passionné d’informatique, vous animez le site « Pdadumedecin.com » créé en 2004. Quelles sont ses spécificités et pensez-vous que cet outil multimédia est le plus à même d’accélérer la diffusion de l’information entre professionnels?

Ce site propose aux professionnels de santé nomades (médecins à domicile, urgentistes, infirmiers) des outils et logiciels pratiques, gratuits pour la plupart, et téléchargeables sur téléphone-PDA en synchronisation. Tout utilisateur peut ainsi accéder à une base de données informative exhaustive : protocoles, dictionnaire médical, e-guides thérapeutiques (le Vidal PDA, l’EMC, le Perlumuter de Masson), logiciel de gestion des visites avec classification des fiches par nom et par date, etc.. Ces solutions utilitaires transmises sur PDA, véritable ordinateur de poche à usage personnel qui intègre agenda électronique, carnet d’adresses, calculatrice, éditeur de notes, navigateur web, GPS, facilitent grandement le quotidien des médecins mobiles. Ce site enregistre 150 à 200 visiteurs par jour. Les utilisateurs sont francophones, et pour la plupart des hommes, entre 30 et 40 ans. Le PDA peut, en effet, révolutionner les échanges de données entre patients et praticiens, faciliter la transmission du DMP et répondre à toutes les solutions de mobilité ; un usage qui va sans conteste se généraliser avec la convergence des réseaux. Une personne diabétique par exemple peut ainsi évaluer son taux de glycémie aisément via PDA ou PC pocket, anticiper les crises grâce à des alertes systématiques, et avertir son médecin en temps réel en cas d’anomalie grave, lequel pourra de son côté établir un télédiagnostic interactif. Un gain de temps très appréciable.

Vous avez par ailleurs lancé le site « hepatoweb.com » et plus récemment « filmsmedicaux.org » afin de favoriser l’accès du patient à une information médicale pluraliste. Comment ces plateformes e-santé peuvent-elles améliorer la relation patient-praticien ?

Hepatoweb.com a été créé en 2000 afin de répertorier toutes les données relatives dans le domaine de l’hépatologie et la gastroentérologie à usage des patients et des confrères spécialistes en pathologies digestives. C’était au départ un site répertoriant tous les liens hypertextes existant sur le sujet. Aujourd’hui, il s’est enrichi de véritables rubriques aux thématiques diversifiées: innovations techniques, hépatobase incluant des fiches thérapeutiques, informations et films sur certaines maladies, et examens complémentaires à télécharger. C’est dans cet esprit didactique que j’ai crée le site « filmsmedicaux » en 2007. Sa vocation est double : d’une part, regrouper l’ensemble des vidéos d’examens complémentaires réalisées par spécialité avec l’accord du patient (100% d’adhésion), et multiplier ainsi les échanges entre praticiens ; d’autre part, informer et préparer un patient à la réalisation d’un examen complémentaire (ponction hépatique, IRM, échographie cardiaque etc…) pour l’aider à mieux en appréhender les différentes phases. Les examens sont présentés de façon ludique et sobre et contribuent efficacement à renforcer la confiance du patient à l’égard de son médecin. Mieux informé, il se sent plus impliqué et donc moins angoissé. Ce site, qui enregistre 2 000 visiteurs par jour, représente un formidable outil d’accompagnement pour ses utilisateurs (40 % de particuliers et 60% de professionnels).

La mise à disposition sur Internet de bases de données médicales induit peu à peu un changement comportemental sociétal, stimulant un certain autodiagnostic des individus pour des affections. Cette responsabilisation louable ne risque-t-elle pas, a contrario, d’entraîner des dérives à court terme, notamment une automédication abusive ? 

L’accès généralisé à une information médicale exhaustive n’est pas répréhensible en soi. Il accélère la formation du grand public à un domaine jusque-là jugé complexe, hermétique et réservé aux seuls professionnels. Dans ma pratique quotidienne, par exemple, lors de mon premier contact avec un patient qui vient consulter pour une hépatite virale C, je lui demande tout d’abord ce qu’il connaît de sa maladie après avoir parcouru Internet. Par la suite, je corrige et complète ses informations et lui propose d’aller sur mon site Hepatoweb.com. Lors des consultations suivantes, le patient appréhende mieux la pathologie; il adhérera d’emblée beaucoup plus facilement, dans un sentiment de confiance, aux traitements que je vais lui proposer. Cette formation médicale doit cependant être effectuée de façon raisonnée et prudente. Il s’agit d’éviter, par une sur-information sans éducation préalable, une auto-médication non appropriée du patient. Le médecin généraliste doit rester la clef de voûte du dispositif !

Décidément très dynamique, vous êtes également Président depuis 2006 de l’association Médecins-Maîtres-Toile (MMT), un club de pionniers de l’Internet, invité ponctuel du MEDEC, qui gère une cinquantaine de sites médicaux français et attire 2 560 000 visiteurs. Qu’est-ce qui justifie une telle affluence-record ?

Cette association à but non lucratif fondée en 2000 et que j’ai rejointe en 2002, regroupe à ce jour une cinquantaine de membres et fonctionne sur le principe du compagnonnage. L’adhésion est ouverte à des membres associés. Tout professionnel peut ainsi utiliser les outils en ligne mis gracieusement à sa disposition pour créer son propre site internet et devenir ainsi un membre actif. L’objectif principal de l’association MMT est de familiariser étudiants en médecine et professionnels avec les NTIC, de partager en réseaux informations et ressources technologiques sous licence GPL (logiciels libres) et de les amener ensuite à devenir leur propre maître d’œuvre sur la toile Internet. Ce portail regroupe 118 sites. Pas moins de 9 800 00 pages sont vues chaque mois, actualisées et enrichies par chaque membre. Notre ambition en 2008 est de pouvoir développer un moteur de recherche très puissant nous permettant de spécifier les sites, de les classifier par indexation thématique avec une grille d’évaluation par item. L’idée est de les labelliser avec un logo MMT crypté, gage de sérieux pour l’utilisateur final et d’un meilleur référencement sur les méta-moteurs de recherche type Google.

Ces expériences exemplaires reflètent-elles le Paysage Internet Médical Francophone (PIMF) et confirment-elles une montée en puissance d’une information médicale multimédia ?

Le PIMF est plutôt stable depuis quelques années. D’aucuns lui reprocheront son évolution lente et ses applications raréfiées. A l’exception du remarquable réseau Sésam-Vitale mis en place, il n’y a pas eu d’opérations d’une ampleur équivalente instaurée à ce jour. Plusieurs raisons expliquent ce retard : un fort décalage entre la génération des 20/35 ans, parfaitement équipés en informatique et initiés aux supports multimedia (65% des étudiants en médecine disposent d’un PDA) et la génération des séniors actifs qui considère encore Internet comme un outil chronophage et peu utile. A l’inverse, des patients passionnés par l’informatique créent de leur côté leur propre site internet mais la plupart de ces internautes, qui participent à de nombreux forums santé, ont une approche parfois non objectives des différentes problématiques soulevées, ce qui ne contribue pas à donner une image positive et dynamique du PIMF en pleine mutation pourtant. Les statistiques démontrent qu’en réalité 80 à 90% des praticiens libéraux utilisent l’informatique en pratique quotidienne. Le secteur mature est en phase de réflexion et attend la validation officielle d’un nouveau système d’informations sécurisé, agréé officiellement et compatible avec tout type de réseau et de logiciel.