ADDICA est un réseau rémois qui se consacre au suivi de personnes dépendantes, des drogues, de l’alcool. Fondé par un groupe de généralistes qui avaient fait des constats sur les manques de la prise en charge, il est resté dans un fonctionnement « informel » pendant plusieurs années, avant de recevoir un financement du FAQSV puis de la DRDR (Dotation Régionale de Développement des Réseaux) qui lui a permis de se professionnaliser à partir de 2001.
Comment avez-vous abordé la question de l’informatique ?
Nous avions l’énergie pour construire le réseau mais nous manquions d’outils pour la coordination. Nous avons commencé par un dossier papier puis s’est imposé le besoin d’un système d’information. Un réseau, finalement, repose sur un trépied : formation pluri-professionnelle, coordination, système d’information. Un manque de coordination et c’est la mort du réseau. Mais pour cela, il faut avoir les outils qui permettent de faire le lien entre les personnes. Et le système d’information en est un. Nous n’avons pas tout de suite parlé d’informatique. Un certain nombre de professionnels et d’institutions auraient sans doute été effrayé. Nous avons donc parlé d’un dossier patient, la technologie restant implicite.
En 2000, on en était encore aux balbutiements. Nous devions composer avec une grande hétérogénéité des acteurs et de leurs familiarité avec l’informatique. Il y avait la difficulté d’un projet multi-facettes médical, psychologique et social mais aussi libéral et institutionnel. Les contenus que nous avons retenus d’emblée étaient la télé-expertise, une liste des lieux de soins pour faire pièce à l’opacité des filières, un site d’information public (« savoir plus, risquer moins »). La télé-expertise nous paraissait vraiment importante. Cela permettait aux professionnels de dialoguer sur des sujets comme le tabac, les drogues, les questions sociales, l’hépatite C.
Comment a-t-il été mis en place ?
Nous avons acheté à Uni-Médecine une coquille. Elle nous permettait de nous assurer de la confidentialité et de la sécurité des échanges. Et là-dessus, nous avons travaillé en commission au sein du réseau pour concevoir les outils dont nous avions besoin. Nous avons fait des fiches par spécialités, par exemple pour le tabac.
Cela a permis de dégager plusieurs choses : mesurer le travail que cela demanderait aux acteurs de maintenir les informations à jour et donc prévoir des rémunérations compensatrices ; repenser le rôle de référent - en effet, ce n’est pas toujours le médecin qui est le plus à même de jouer ce rôle : des travailleurs sociaux sont quelquefois mieux placés ou ont une meilleure vision du cas.
Il a fallu faire aussi tout un travail d’accompagnement auprès de professionnels qui étaient un peu perdus. Ne serait-ce par exemple, que pour installer une éxécutable qui permettrait de reconnaître leur carte CPS.
Comment le système a-t-il été accueilli ?
Tout le monde n’utilise pas le système informatisé mais, curieusement, il y a une adhésion extrêmement forte à cet outil, même chez les gens qui ne l’utilisent pas. Au début, il y a eu des freins techniques, mais désormais, ce n’est plus cela, ni même donc la pertinence du projet qui reste à démontrer. Il y a encore de grandes disparités d’usage et l’on peut dire que l’environnement institutionnel, que ce soit l’hôpital ou les services sociaux, n’est pas moteur dans la communication au travers du dossier patient. Ceci dit, les choses évoluent. Mais il y a toujours besoin d’une aide pour encourager l’utilisation.
Du côté des patients, il n’y a pas eu vraiment de rejet de ce système. C’est un peu étonnant aussi. On a affaire à une population compliquée mais, en fait, il comprennent quelquefois plus vite que nous. Et ils voient très bien ce qu’ils peuvent tirer de cela.
Quelles conclusions tirez-vous de ce projet ?
Avec le recul, je crois que l’on peut dire que ça a été une réussite en termes de gestion de projet. Peut-être parce que nous savions quoi attendre d’un dossier partagé ? Nous avions un objectif clair : favoriser le lien entre les personnes et la coordination des soins. Nous savions que l’informatique avait une place, mais nous ne voulions pas tout informatiser. Il est essentiel pour un réseau de s’appuyer à la fois sur une présence physique, des rencontres qui permettent de créer une culture commune et sur une informatique réfléchie autour des besoins réels du patient (avec tous les débats autour du secret). Dans cet équilibre, le Dossier Patient Partagé, ne doit finalement contenir que le minimum d’informations nécessaires à la coordination. Et rester simple. Messagerie sécurisée. Des fiches de synthèse où l’on dit « Où est le problème ? » « Quelle est la réponse envisagée ? » « Quel est le plan de soin ? » « Quel est le référent ? » C’est tout. Et grâce à cela, on peut effectivement gagner du temps.
Et puis il y a des choses qui n’ont pas marché. Un forum, par exemple, qui n’a jamais été utilisé. Il y a encore beaucoup de travail à faire.
Nous n’avons pas eu les ressources suffisantes, jusqu’à présent, pour faire un suivi épidémiologique à partir des fiches que nous avons collectées. C’est un gros travail et, jusqu’à présent, nous avons eu à gérer la montée en charge et une analyse demanderait beaucoup d’investissement en temps.L’informatique peut permettre une adaptation des référentiels, en incluant d’emblée tous les professionnels concernés, qui sont très variés dans notre cas.
On ne sait pas encore très bien quelles sont les retombées de l’informatisation et nous avons participé à une étude de l’ENST pour en savoir un peu plus sur les usages réels de la télémédecine, et savoir comment être le plus efficace vis-à-vis de professionnels et des patients. L’informatique est un outil très structurant. Or, il faut qu’il soit le plus discret possible, qu’il s’intègre au bureau du praticien pour que l’essentiel soit consacré à la revalorisation de la relation inter-personnelle.